21-07 commémoration du 21 juillet 1944
Ce lundi 21 juillet 2014 a été un jour important : la France entière a célébré le 70e anniversaire de la Libération.
Pour Espenel et Saillans (et bien sûr tous les autres villages de la région) c’est aussi une journée de commémoration douloureuse avec les exactions commises et l’incendie du village d’Espenel. Lundi 21 juillet a été une journée de devoir de mémoire vis-à-vis des résistants et de toutes et ceux qui ont subi ces représailles.
Vous pourrez lire ci-dessous le texte lu à cette occasion par Vincent Beillard, maire de Saillans et David Gourdant, élu municipal.
Commémoration des combats du 21 juillet 1944
Discours de la municipalité de Saillans,
préparé par David Gourdant.
N.B. Vous lisez ici la version intégrale, le texte a dû être écourté lors de la commémoration d’Espenel. Nous souhaitons répartir les discours pour l’année prochaine, entre Saillans et Espenel.
Le devoir de mémoire est important, voire essentiel, aujourd’hui peut-être plus que jamais, alors qu’un nouveau conflit se déroule en Europe de l’Est (Ukraine), et que notre société connaît un nouveau défi : celui de maintenir une paix, fragile et précieuse, qui dure depuis bientôt 70 ans.
Les jeunes générations, dont je fais partie, bénéficient de cette paix, en particulier celles d’Europe Occidentale. Elles ne peuvent pas être tenues pour responsables des décisions, aux conséquences catastrophiques, des hommes au pouvoir à la veille de la seconde guerre mondiale.
Cependant, nous avons tous le devoir de reconnaître les symptômes et les conséquences qui mènent une société à de tels extrêmes, le devoir de rester vigilants et attentifs aux leçons de notre Histoire, et de défendre les idées de paix et de fraternité portées par les survivants de la deuxième guerre mondiale.
Et durant des commémorations comme celle qui nous réunit aujourd’hui, d’honorer la mémoire de ceux qui ont subi ce déchainement de violence, et de ceux qui étaient prêts à sacrifier leur vie pour ce qu’ils pensaient être juste.
Les victimes, et les héros, d’un conflit dont les causes sont restées obscures jusqu’après-guerre : celles de l’endoctrinement idéologique et du nationalisme exacerbé. Des causes que n’ont cessé de combattre, depuis, les survivants les plus éclairés.
C’est pour cette raison que j’ai été très touché, qu’un ancien résistant puisse me demander de vous faire ce discours aujourd’hui, à l’occasion du 70e anniversaire des évènements du 21 juillet 1944. Son nom est Mr Jean Gautheron, résistant du Vercors, de l’ancienne compagnie Bentrup.
Coïncidence, ou extraordinaire rappel des évènements, il faisait ce jour-là le même temps qu’aujourd’hui : ciel couvert, orageux et pluvieux… Un sale temps qui empirera au cours de la journée, et qui viendra d’ailleurs au secours des résistants, en empêchant à l’aviation allemande d’y voir trop clair.
Rappelons les faits.
Depuis quelques jours, habitants et résistants avaient constaté le passage d’avions de reconnaissance, qu’ils pensaient être ceux des forces alliées, pour lesquelles un terrain d’atterrissage était en construction par le maquis, au cœur du Vercors, et pour répondre au « Plan Montagnard ».
Mais l’espoir et la joie des résistants furent rapidement remplacés par le désarroi et l’abattement, en apprenant plus tard qu’une nuée de planeurs allemands, transportant des troupes aéroportées, avaient atterri autour de Vassieux et de La Chapelle, marquant le début des hostilités contre le maquis du Vercors…
Fiers et enthousiastes, les Forces Françaises de l’Intérieur, les « FFI », ainsi que les Francs Tireurs et Partisans, les « FTP », débordaient d’impatience suite à l’annonce du débarquement en Normandie, un peu plus d’un mois avant. Et les résistants du Vercors et du Diois multipliaient les sorties et les actes de sabotage, rendant les soldats de la Wehrmacht très nerveux en effet.
La Wehrmacht , de son côté, vient d’élaborer un vaste plan d’attaque du Vercors, dont elle a enfin compris l’importance stratégique. Les moyens qu’elle va mettre en œuvre pour faire tomber ce maquis seront considérables. Les Allemands concentreront leurs troupes et lanceront une attaque coordonnée depuis Grenoble, Gap et Valence ; autant par voie terrestre que par voie aérienne.
Le 20 juillet au soir les Allemands occupent les alentours de Crest. Ils sont accompagnés d’effectifs mongols qui suivront (à cheval) l’avancée des colonnes de blindés et de camions, dans le but de vandaliser et terroriser les populations locales.
C’est au matin du 21 que commence l’offensive, alors que passent au dessus des têtes des dizaines de troupes aéroportées à bord de petits planeurs, spécialement conçus pour l’occasion. Certains habitants continueront à croire à l’arrivée tant attendue des troupes alliées…
En parallèle, les forces terrestres commencent à pénétrer dans les vallées, sur les quelques routes d’accès qui montent sur la forteresse naturelle du Vercors. Notamment, pour nous, dans la vallée de la Drôme, par la nouvelle D93, par Aouste, Saillans, Die et le Col de Rousset.
On savait bien que la déclaration de la « République Libre du Vercors », proclamée à Die quelques temps auparavant, avait dû être ressentie comme une forte provocation de la part des Allemands. Les compagnies de résistants avaient donc élaboré un plan de défense, dont le principal verrou était celui de Pontaix. Cependant, on ne s’attendait pas à une telle démonstration de force de la part de l’ennemi…
En première ligne de défense se trouvait la compagnie Chapoutat, positionné entre Aouste et Blacons (pont des Grands Chenaux). Cette embuscade, qui prendra la Wehrmacht complètement par surprise, atteindra ses objectifs : ralentir de quelques heures l’avancée des troupes allemandes, en faisant le plus de dégâts possible. Un char fut anéanti à la grenade Gammon, et derrière lui une auto-mitrailleuse connaîtra le même sort. Les camions de troupes qui suivaient derrière reçurent un feu nourri par une des mitrailleuses lourdes, causant de nombreux morts côté allemand. Après quoi les résistants se sont repliés sur les hauteurs.
La deuxième embuscade, conduite par la compagnie Pons, subira quand à elle de lourdes pertes. Les soldats de la Wehrmacht sont alors sur le qui-vive, et l’esprit vengeur. Quatre groupes de résistants, totalisant quarante hommes, occuperont des positions sur le tunnel de Saillans, et autour du tunnel ferroviaire d’Espenel. Des positions choisies dans la précipitation, sans avoir imaginé les moyens importants mis en œuvre par la Wehrmacht, et qui se révèleront complètement inadaptées.
Les colonnes ennemies avancent par deux, de chaque côté de la Drôme. Dès les premiers coups de feu, elles bénéficieront d’un appui aérien contre lequel les résistants ne pourront pas grand-chose. Le lieutenant Dujet et ses hommes, positionnés au tunnel ferroviaire d’Espenel, subiront une intense attaque aérienne, que le tireur à la mitrailleuse lourde paiera de sa vie, et tout le groupe sera neutralisé jusqu’à ce que les nuages descendent pour le couvrir. Néanmoins, compte tenu du terrain, ces hommes ne pourront pas faire bon usage de leurs grenades.
Au tunnel de Saillans, autant qu’au tunnel d’Espenel, pour être efficaces les maquisards étaient contraints de se mettre à découvert. Les possibilités de repli, quant à elles, avaient été négligées. Mal équipés, sous-armés, et sans expérience de tels combats (pour beaucoup d’entre eux), face à une écrasante supériorité allemande en nombre et en armement, à la merci des avions de chasse, les résistants engageaient un combat perdu d’avance.
Les Allemands, pendant l’attaque aérienne, partiront rapidement sur les hauteurs pour tenter d’encercler leurs adversaires. C’est alors que, sans autre recours, l’ordre sera donné pour un repli général. Les quatre groupes qui prirent part à cet évènement, martyrisés par le feu des armes automatiques et de l’aviation, dans ce qui deviendra la « bataille de Saillans », furent ainsi neutralisés après un total de cinq heures d’âpres combats.
Les pertes au sein des troupes de la Wehrmacht seront importantes, et obligeront les Allemands à retarder d’un jour leur offensive sur le Vercors. Un laps de temps critique qui permettra à d’autres groupes de résistants, sur les contreforts du Vercors, à mieux se préparer ou à organiser un repli.
A titre de représailles, cette soirée et cette nuit-là, les soldats de la Wehrmacht, ainsi que les troupes auxiliaires mongoles, vont se livrer à des représailles meurtrières sur la population civile. De nombreuses fermes seront incendiées, ainsi qu’une bonne partie du village d’Espenel, avec de nombreux témoignages d’arrestations, de maltraitances et de viols. Les troupes mongoles camperont d’ailleurs plusieurs jours dans le secteur, et multiplieront les actes de cruauté.
Le prix d’une telle opération fut élevé, ne l’oublions pas non plus. Et certains résistants eux-mêmes auront à souffrir du remords, en pensant à ces représailles, destructrices et meurtrières, sur une population civile et sans défense. Ces héros volontaires, ou involontaires, de tous bords et de toutes origines, qui ont survécu à ces combats et à cette guerre, ont dû faire face à des cas de conscience et à de profondes blessures intérieures.
Je me sens donc très humble, en pensant à leur vécu, et très admiratif, de leur révolte et de leur indignation face aux idées fascistes. Un régime qui a vu le jour en Italie, en Allemagne, et dans bien d’autres pays. Un régime qui a vu s’associer populisme, nationalisme et totalitarisme, dont aucun peuple n’est assuré de ne jamais le couver un jour en son sein.
Alors je le répète , nous avons un devoir de mémoire pour ne jamais oublier de tels évènements. Le devoir d’apprendre à reconnaître les symptômes et les conséquences qui mènent une société à de tels extrêmes, le devoir de rester vigilant et attentif aux leçons de notre Histoire, et de défendre les idées de paix et de fraternité portés par ces héros de la deuxième guerre mondiale.
L’oisiveté, le laisser-aller, l’ignorance ou l’abattement, sont autant de travers qui servent les intérêts des ennemis de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Prenons nos résistants comme modèles pour notre société, ils feront bien mieux l’affaire que nos vedettes du petit ou du grand écran. Rappelons-nous toujours que l’Histoire a tendance à se répéter. Alors restons vigilants.
Rappelons-nous aussi que, dans un conflit, l’Histoire appartient aux vainqueurs. Qu’il faut aussi savoir que d’une guerre aucun parti ne sort entièrement blanc ou noir, que l’échelle des valeurs joue plutôt sur des tons de gris, et que les pièges sont nombreux. N’oublions pas, par exemple, ces Allemands qui ont rejoint, très tôt, la Résistance, comme celui pour lequel une stèle fut érigée à Sainte-Croix, non loin d’ici, et qui se sacrifia pour sauver bon nombre de ses camarades…
Aux résistants morts au combat, aux résistants qui ont survécu à la guerre, et aux résistants que nous avons tant de chance et d’honneur d’avoir encore parmi nous : vous pouvez être assurés de notre éternelle gratitude.
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